Ljubinka Jovanovic Mihailovic. Peintre de l’école de Paris

En 2015, la peintre d’origine serbe, Ljubinka Jovanovic Mihailovic, avait 94 ans et vivait un peu retirée de l’agitation du monde – d’abord parce que la peinture demande ce retrait ; ensuite, les années venant, parce que les cinq étages de son immeuble devenaient presque impossibles à gravir. L’appartement était un lieu magique qui donnait déjà l’impression d’entrer dans sa peinture. Au salon, on voyait tout de suite les deux toiles somptueuses de son mari Bata Mihailovic ; plus en retrait, sur le mur qui faisait angle droit, un grand tableau d’elle. Quelques bancs de bois composaient l’essentiel de l’ameublement. Ils étaient recouverts par des couvertures et des coussins dont les couleurs rappelaient celles des tableaux. Un grand miroir, une table de bois noir avec un bouquet de fleurs à demi séchées. Quelques icones. Des étagères portaient des livres et des pigments. Un portrait de Bata peint par elle ; un portrait de Ljubinka peint par lui. A l’étage supérieur, l’atelier.

L''atelier de Ljubinka Jovanovic Mihaïlovic

L »atelier de Ljubinka Jovanovic Mihaïlovic

On pouvait voir sa peinture comme une peinture d’exilée, nourrie de la grande tradition des icônes byzantines. On peut aussi la recevoir comme une peinture de notre temps. Ljubinka a été confrontée à la violence des trois guerres de Yougoslavie : elle a grandi  dans un pays marqué par la première guerre mondiale,a assisté à la destruction de Belgrade, connu les privations et les humiliations de la seconde guerre mondiale, et a été ébranlée par la guerre civile des années 90. A ce monde violent, Elle opposait la recherche d’une sorte d’espace sacré où la lumière circulait de la terre au ciel. Sacré, est sans doute un mot de spectateur, car là où on apercevait des fenêtres ouvertes sur l’au-delà, elle parlait de bâtiments, de bouches du métro, d’affiches placardées, de l’espace très concret des grandes villes. Quand, on évoquait une expérience mystique, elle décrivait son travail sur des matériaux, sa confrontation avec les contraintes techniques. Quand on lui disait « ta  lumière »,  elle évoquait la patience des artisans pour dompter la feuille d’or. Sa morale n’était pas discours, mais justesse d’un trait qui ne trichait pas, qui avait demandé des années de travail et l’inspiration d’un instant, qui échappait à la volonté.

Grand tryptique. Ljubinka

Elle était toujours disponible. Parfois, elle se plaignait un peu : « j’ai trop de visites. Où trouver le temps de peindre ? », mais la porte restait ouverte, peut-être au détriment de son œuvre. Qu’importe ! « Je n’ai, disait-elle, aucune ambition. Je n’ai pas besoin qu’on m’admire », tout en comprenant très bien ses amies qui voulaient conquérir l’attention d’un public. Nous étions nombreux à venir nous décharger sur elle de nos histoires d’amour, de nos tourments de parents, de nos jalousies. Nous savions que nous pouvions lui faire confiance, qu’elle nous écouterait sans nous juger et que son écoute ne serait ni mièvre ni sotte.

Ljubinka chez elle

Ljubinka chez elle

Juan l’appelait Shaman, moi, mon gourou, Claire disait « elle est ma mère, ma grand-mère et mon enfant ». En tout cas, je n’ai jamais rencontré de femme aussi (faut-il dire profonde ? spirituelle ? accomplie ?)  et en même temps fragile et vulnérable. Vulnérable et confiante. C’est le plus difficile la confiance : « Je me suis laissée faire par mon hématologue. Un bon médecin qui aimait ses malades et j’ai voulu guérir pour lui ». Elle était aussi une petite fille qu’il fallait aider pour les papiers, les ordonnances et les rendez-vous médicaux, avec qui il fallait partager un repas pour que l’envie de manger revienne. Quand, il a fallu qu’elle parte à l’hôpital, les infirmiers se sont étonnés : qui est cette femme pour qu’il y ait tant de monde ? Nous n’avons jamais vu cela ».

Ljubinka n’est plus là. Ni l’appartement de la rue Leverrier. Restent les tableaux d’une peintre contemplative. Humble et exigeante ; patiente et inspirée.

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