Jardins de Normandie

La naissance de deux petites filles a modifié nos vacances. Finis les étés corses caniculaires, les interminables bains où nous longions la côte jusqu’à des rochers où personne n’allait, adieu à l’incroyable beauté de l’île, mais aussi à la foule détestable (dont nous faisions partie) montant à l’assaut de villes trop petites pour absorber les visiteurs. Finies les boutiques de souvenirs fabriqués en Chine, alignées le long des rues de la citadelle.

Nous voilà donc dans le pays normand vert, gris, blanc, d’ailleurs plus occupés par nos quatre enfants, « génétiques » et d’adoption que par le tourisme. En 19 mois, l’aînée des petites dernières est passée de l’état de nourrisson à l’état de bébé qui court partout, prononce quelques mots et feuillette avec conviction des livres d’images. Elle se trémousse quand une musique lui plaît. Elle adore recommencer 20 fois à monter les marches du tobogan. Jamais je ne m’ennuie en la voyant faire, même si je n’existe pour elle que dans un deuxième cercle. La seconde a déjà six mois, commence à sourire et babiller.

En Normandie, il y a bien sûr des abcès de fixation comme le Mont Saint Michel, mais l’essentiel des bourgades continue une vie tranquille : le potager et le poulailler dans un lopin de terre, l’élevage dans de petites fermes, tout en ayant un pied dans la post-modernité : le téléphone portable est comme ailleurs une extension permanente des personnes, les échanges sur les réseaux sociaux sont intenses. Même si l’alcool et la drogue circulent autant qu’en Corse, les jeunes grandissent avec un sens de la débrouille qui les préserve du stress. La plupart des enfants des hameaux sont loin des études, mais les familles ne « flippent » pas s’ils ramènent 0 à la dictée. Ils savent soigner les bêtes, faire pousser des tomates, réparer l’électricité. Ils trouveront bien à s’insérer, pensent les parents.

Il y a peu de tourisme dans notre vie normande. Nous avons vu pourtant quelques jardins lors d’escapades.

Le jardin des Amouhoques au Mesnil-Durdent

En Haute Normandie, où nous avions loué un gîte familial près de Saint Valery en Caux, le jardin le plus original était le modeste jardin des Amouhoques au Mesnil Durdent (19 habitants), Ce jardin porte le nom local de la camomille (matricaire) qui servait à confectionner des bouquets pour les mariées (amou(r/h) oques, destinés à leur souhaiter une union aussi fertile et solide que l’est la fleur. Ce jardin se propose de réconcilier les jardiniers avec les mauvaises herbes, capillaires, fougères, compagnons blancs et compagnons rouges, douce amère, bouillon blanc, renouée… Chaque plante, soigneusement étiquetée, a trouvé une place où elle est bien.

Photo Sarah Branca

Dans le hameau, les clos sont délimités par des alignements d’arbres plantés sur des talus pour protéger les jardins du vent. La plupart des maisons sont couvertes de chaume. Au faîte du toit, des iris absorbent le trop plein d’humidité et maintiennent le lit de terre crue. L’entretien a l’air contraignant puisque la mousse signe d’humidité a colonisé pas mal de toitures.

Le jardin comporte 300 plantes, ennemies traditionnelles des jardiniers que les concepteurs des Amouhoques veulent nous apprendre à aimer pour, qui sait, nous inviter à concevoir des jardins ensauvagés. On se rend aux Amouhoques par ces routes admirables où les arbres font des tunnels verts.

Le jardin « au naturel » de la princesse venue du froid

A peu de kilomètres, le Vasterival est le plus connu des parcs de la région. Le nom de sa créatrice, la princesse Sturdza, a peut-être contribué à sa célébrité. Margaretha, Greta Kvaal, la Princesse Sturdza (du nom de son époux, le prince moldave Gheorghe Sturdza) était née en 1915 à Oslo et décédée en 2009. Elle s’est installée en 1955 dans la valleuse du même nom, qui traverse la propriété et se termine à la falaise (Une valleuse, dit Wikipédia, est une allée fluviale qui s’est retrouvée en position perchée à la suite de l’affaissement de la Manche et la surrection de l’axe anticlinal Weald-Artois.)

La Princesse a organisé son existence autour des douze hectares de son jardin. Elle n’a jamais employé beaucoup de jardiniers, assurant elle-même une partie des travaux : tonte, nettoyage des fleurs fanées, ramassage des branches mortes.

Elle était autodidacte, anticipant sur les leçons de l’écologie, comme le raconte le jardinier enthousiaste chargé de nos accompagner : l’importance du mulch, une sorte de paillis, qui permet de protéger le sol, de l’enrichir, de faciliter l’entretien des massifs en diminuant fortement l’installation des mauvaises herbes, mais aussi le choix des plantations à plusieurs hauteurs. La culture multi-étagée est banale aujourd’hui, mais la princesse innovait à son époque : grands chênes, sycomores, buissons, plantes couvre-sol permettent d’éviter les arrosages durant l’été. Après, on peut faire semblant que le jardin évolue au hasard (même si on taille tous les jours « en transparence » pour que les arbres laissent la lumière pénétrer !!).

Le Vasterival. Les feuilles énormes et brillantes de la Gunnera Manicata

La princesse a multiplié les échanges botaniques avec des jardiniers du monde entier, mais son but n’était pas de concevoir des collections, mais de pouvoir se tourner dans toutes les directions pour admirer des scènes, des perspectives, des ensembles harmonieux, et ce, à toutes les saisons, en s’assurant que les plantes choisies supportaient le climat maritime car la mer, ici, vient mourir presque au milieu du parc protégé par les arbres.  

Le Vasterival. Connexion entre les arbres

« Le jardin est peu fleuri en été, dit le jardinier ».

Hémérocalles
Quelques heuchères

« Il a fait chaud, dit le jardinier. Même les hémérocalles sont fatiguées, mais vous avez tout le dégradé des verts dans les arbres. Si vous voulez des fleurs, revenez en hiver. Sans rire, les hellébores sont là dès février, les rhododendrons dès mars. Ou mieux venez en automne. Selon moi, c’est la plus belle saison quand les feuillages s’enflamment, quand on voit bien l’écorce des troncs ».

Les Jardins d’Etretat d’Alexander Grivko

On ne peut pas faire plus différent du Vasterival que le jardin d’Etretat, conçu entre 2015 et 2017 par l’architecte paysagiste russe Alexander Grivko qui fait dialoguer paysage, architecture jardinière et art contemporain en jouant d’un nombre relativement restreint d’espèces. Avec des plantes traitées comme des matériaux, davantage que comme des êtres vivants, le maître construit un univers fascinant.

La partie la plus spectaculaire est la partie nommée « Impressions », liée à la vue admirable sur les falaises.

Jardin d’Etretat. Alexander Grivko

Alexander Grivko l’associe à un couple mélancolique qui tourne dans la roue du temps.

L’Eté de GevorgTadevosyan

Sur la pente abrupte, le jardin graphique impose ses formes : la taille en ondulations des arbustes avec des courbes sans fin rappelle les tourbillons de la Manche :

Tourbillons de buis post-modernes

Dans la partie du jardin nommée « Emotions », un sculpteur espagnol hyperréaliste, Samuel Salcedo, a sculpté des visages en résine polyester et poudre d’aluminium qui illustrent les humeurs changeantes des hommes. Des nids de verdure servent d’écrin à ces visages expressifs, tristes, avides, boudeurs, facétieux.

Les visages de Samuel Salcedo

Le Jardin des plantes d’Avranches

A Avranches, le Jardin des plantes est harmonieux, mais ne saurait rivaliser avec les merveilles de la Côte d’Opale, l’immense jardin-sculpture d’Alexander Grivko, les harmonieux mélanges de plantes de la princesse Sturdza… Pourtant, de la terrasse, on embrasse d’un seul regard la baie du Mont-Saint-Michel qui s’étend à perte de vue : le changement permanent du ciel et de la lumière dessine un monde accidenté, avec des montagnes de nuages fantastiques.

La baie depuis Avranches
Depuis le jardin des plantes d’Avranches

Dans ce pays, la force du vent redessine sans cesse le ciel. – Mais ce n’est pas du jardinage !- Qu’importe ! c’est un de ces lieux où le jardin s’accorde à l’ordre de la nature.

Lienhttps://passagedutemps.com/2021/11/04/le-bois-de-morville-de-pascal-cribier-varengeville-sur-mer/