Au bord de la D100 entre Les Chères et Chasselay dans la banlieue lyonnaise, un bâtiment ocre rouge se détache sur le fond noir d’un ciel d’orage.
Le «Tata»
De forme rectangulaire, entouré de murs surmontés à chaque angle et, au-dessus de l’entrée, d’une forme pyramidale hérissée de piques, le « Tata » se caractérise par une architecture d’inspiration soudanaise complètement inattendue à cet endroit.

Sur le portail sont sculptés huit masques stylisés, différents, sur lesquels on reconnaît des fétiches veillant sur le repos des défunts.

Devant le monument, un panneau raconte la tuerie raciste qui s’est déroulée au début de la Seconde Guerre mondiale. Dans le cimetière, reposent 196 corps de diverses nationalités d’Afrique occidentale, Sénégal, mais aussi Haute-Volta, Dahomey, Soudan, Tchad… Il y a aussi six soldats d’Afrique du Nord et deux légionnaires, l’un russe, l’autre albanais.
A l’intérieur, des stèles identiques avec le nom des soldats

En Afrique occidentale, le mot «Tata» d’origine mandingue signifie « enceinte fortifiée », de là «enceinte de terre sacrée». Nous sommes dans un mémorial où sont enterrés des guerriers africains morts au combat.
Le massacre des tirailleurs
En juin 1940, l’armée allemande avance vers la ville de Lyon. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, Edouard Herriot, maire de Lyon et président de l’Assemblée Nationale, qui se trouve alors à Bordeaux où s’est réfugié le gouvernement convainc le maréchal Pétain nouveau Président du Conseil de déclarer Lyon « ville ouverte » afin d’éviter les destructions.
Cependant le 25e régiment de tirailleurs composé de 2 200 hommes déployés sur une ligne de défense entre Caluire et Tarare, avait l’ordre de résister en cas d’attaque et « sans esprit de recul ». Ces soldats affrontaient les 15 000 combattants de la 10e Panzer division, une unité blindée de la Wehrmacht. Les soldats savaient sûrement ce que signifiait « sans esprit de recul » ; ils l’avaient accepté et se battaient désespérément. Le désordre de la débâcle fait qu’ils n’ont pas reçu l’ordre de cesser les combats et n’ont rendu les armes qu’une fois leurs munitions épuisées. Selon la Convention de Genève de 1929, qui protégeait les droits des prisonniers de guerre, les survivants auraient dû avoir la vie sauve. A Chasselay, au mépris des règles, les Allemands ont massacré les noirs à la mitrailleuse après les avoir séparés des blancs, qui, eux, seront transférés dans une caserne de Lyon. Les survivants noirs sont férocement achevés, écrasés sous les chenilles des chars d’assaut. Le capitaine Gouzy qui avait tenté de protéger ses hommes reçoit une balle dans le genou. Horrifiés par la tuerie, les habitants tentent de cacher et de soigner quelques rescapés. Lorsque les Allemands retrouvent ces blessés, ils les brûlent vifs, ou les exhibent comme trophées sur les chars.
Les habitants de Chasselay se regroupent pour enterrer les corps des tirailleurs dans une fosse commune. Privés d’expression politique par un régime despotique, ils agissent en silence, fleurissent et décorent les tombes par des drapeaux français. Ils auront été en quelque sorte, les pionniers de l’hommage qui sera rendu par la suite aux morts de Chasselay.
Naissance de la nécropole
La réalisation de la nécropole est due à Jean Marchiani. Ancien combattant de la guerre de 1914/1918, il est en 1940 Secrétaire général de l’Office départemental des mutilés de guerre, anciens combattants et victimes de guerre. Dès qu’il a connaissance des événements des 19 et 20 juin, il prend la décision d’honorer ces héros. Il fait rassembler les corps des soldats d’origine africaine inhumés dans des cimetières communaux pour certains, mais bien souvent dans de simples fosses en pleine campagne. Le gouvernement de Vichy refusant de soutenir financièrement le projet, Marchiani puise dans ses deniers. Il achète un terrain à Chasselay, à proximité du lieu-dit « Vide-Sac » et fait bâtir ce mausolée. Là comme trop souvent, c’est un responsable de rang intermédiaire qui a racheté l’honneur d’un gouvernement lamentable, incapable de respecter les valeurs militaires dont il se réclamait.
L’inauguration a lieu le 8 novembre 1942, trois jours avant l’invasion de la zone libre par les Allemands.
Ce lieu est classé nécropole nationale depuis 1966, et rappelle aux Français le souvenir des Africains morts en 1940 (40 000 ont participé à la guerre) et qui sont ainsi inscrits dans la continuité des héros célébrés par la France. Les mots guerre, sacrifice, gloire ont perdu de leur séduction mais le souci de la lutte contre les discriminations rend nécessaire la conservation de ces lieux de mémoire.
Fargettas Julien, 2012, Les Tirailleurs sénégalais- Les soldats noirs entre légende et réalité-1939-1945 , Taillandier.
Fargettas avec la contribution de Baptiste Garin, Juin 1940. Combats et massacres en Lyonnais, Gleizéditions du Poutan.
Lepidi Julien,2020, « Le village de Chasselay rend hommage à ses tirailleurs africains morts pour la France [archive] », Le Monde, 23 juin 2020