Le marché Dejean est ouvert tous les jours sauf le dimanche après-midi et le lundi.
Quand on descend au métro Château Rouge en laissant derrière soi le boulevard Barbès pour se diriger vers la rue Poulet et le marché Dejean, les guides et blogs vous promettent un dépaysement absolu. Ce quartier, écrivent-ils, est quelque chose à part, une sorte de « mini-Afrique » (https://www.justacote.com/paris-75018/marche/marche-dejean-2497794.ht
En m’y rendant, j’imaginais donc un quartier spécial, isolé du reste de la ville. Rien ne distingue pourtant l’atmosphère de la rue Poulet où nous entrons, de l’atmosphère des rues voisines et les dames qui y promènent leurs bébés sont seulement plus nombreuses que celles qu’on croise dans mon quartier. Les coiffeurs afro et les boutiques de produits de beauté pour les peaux noires se retrouvent ailleurs dans l’Est de Paris, les magasins de téléphones sont partout.

Dans la rue Dejean (qui n’a que 70 mètres de long), les poissons, la viande, les fruits et légumes ne sont pas plus exotiques que dans les boutiques de la rue d’Avron, ou au marché d’Aligre. Manioc, gombos, piments, bananes plantain sont aussi chers d’ailleurs et, décidément les bouchers halal et leurs gros tas de viande ne m’attirent pas du tout.

Comme le marché n’a pas la magnificence exotique que j’imaginais, mon esprit désireux de découvrir un quartier à part m’oblige à m’intéresser à des particularités moins évidentes. Grâce à Brigitte Rasolaina qui a mené des enquêtes à Dejean, je sais qu’est rassemblée dans ce petit espace une précieuse collection de langues à commencer par le lingala, qui sert de langue véhiculaire. Mais il faudrait savoir écouter, échanger, et les langues qui circulent me restent inaccessibles.
Pour entrer dans le quartier, il faudrait surtout comme dans chaque quartier de Paris, nouer des connaissances avec les commerçants, s’intéresser aux qualités des gens. Quand j’ai demandé comment préparer les plantes que je voyais dans une cagette, le vendeur d’herbes pourtant inoccupé, m’a expédiée à la va-vite: « C’est comme des épinards », et il a cessé de se préoccuper de moi. Les commerçants de mon marché discutent recettes quand ils ont le temps. A vrai dire ils discutent de tout et de rien, du temps qu’il fait, de leurs gros et petits ennuis, des manies des clients, des difficultés qu’ils rencontrent pour recruter des jeunes capables de rendre la monnaie, ou des jeunes qui veulent bien se lever à 4 heures du matin par tous les temps, … Mais alors, on ne cherche plus à trouver des signes pittoresques. On va au marché, c’est tout.
Le quartier Dejean m’est resté ainsi inassimilable. J’ai vu la pauvreté au lieu de la féérie équatoriale que je croyais trouver.
Cependant rue Poulet, il y a la boutique de tissus wax que je cherche. Cela fait longtemps que j’aime les vêtements africains, leurs alliances de couleur vibrantes, roses de verroterie, mariés à des soleils orange et jaune, lignes crénelées noires et blanches cernées par des feuilles, cœurs d’hibiscus entremêlés…
A présent, c’est ma provinciale de fille qui se plaît à marier le wax (pour l’essentiel fabriqué en Hollande) et les tissus plus classiques, et qui m’envoie chercher des coupons soldés.

La vitrine de Wax Joli Afrique suffit à illuminer la rue et le commerçant nous aide à dénicher des coupons sans donner l’impression que nos achats modestes lui font perdre son temps (Cela change des rugueux échanges avec les vendeuses du Marché Saint Pierre et de Reine, longtemps des hauts lieux du tissu bon marché, qui, en augmentant leurs prix, ont perdu leur attrait pour des couturières d’occasion).

Brigitte Rasoloniaina, 2012, Le marché Dejean du XVIIIème arrondissement de Paris, Paris, L’Harmattan.