Le Désert de Retz

Penser au Désert de Retz suffit à faire surgir des images d’un ailleurs magique car de nos jours le mot désert évoque les contrées vides de l’Orient, les caravanes qui traversent des dunes de sables, les mystiques assoiffés de Dieu. Cependant, au 17ème et au 18ème siècles, un désert est d’abord un endroit écarté des lieux habituels de sociabilité. Les églises du désert étaient des lieux éloignés des villes où des protestants s’assemblaient en secret loin des agents du roi catholique ; le misanthrope de Molière voulait « fuir dans un désert l’approche des humains » c’est-à-dire quitter la Cour et Paris. Au domaine de Retz, ce retrait loin des mondanités est encore plus relatif : Saint-Germain-en-Laye, la forêt de Marly, Versailles sont proches.

Le nom insiste avec ses assonances en /d/, /ʁ/, /ɛ/,  et avec à l’écrit le  « z » final qui évoque la prononciation du s de désert. Il absorbe aussi des images venues du passé. Bien qu’il n’y ait pas de relations avec Monville, le nom de Retz évoque le souvenir médiéval et cauchemardesque de Gilles de Rais (ou Retz), le compagnon de Jeanne d’Arc, accusé par la suite de viols et de meurtres d’enfants et celui du cardinal De Retz vaincu de la Fronde, et magnifique écrivain. Le parc réel où nous allons n’est pas indépendant de ces rêveries, même si on y accède par une interminable rue de banlieue non desservie par des transports en commun.

Celui qui a conçu le domaine entre 1774 à 1786 s’appelait François-Nicolas-Henri Racine du Jonquoy, sieur de Monville  et de Thuit. Un grand-père fermier général lui avait laissé une fortune de plus de trois millions de livres.  Veuf à 27 ans, sans enfants, « un des plus beaux cavaliers de Paris » au témoignage d’un contemporain, il  pouvait consacrer sa vie au plaisir et au domaine de trente-huit hectares qu’il venait d’acquérir. Il possédait par ailleurs un hôtel rue d’Anjou, (abattu au 19ème siècle pour percer le boulevard Malesherbes) dessiné par Boullée, qui était à la pointe de la modernité avec un chauffage central !

En 1774, la mode était à l’apparente liberté des jardins anglais que l’on pouvait agrémenter, à la mode des jardins chinois, de « fabriques », petits bâtiments pittoresques édifiés au détour des allées.  (A Paris , le parc Monceau comporte encore quelques vestiges des fabriques conçues pour le duc de Chartres https://passagedutemps.com/2020/11/25/parc-monceau-que-reste-t-il-de-la-folie-du-duc-de-chartres/)

Les fabriques dessinées par Monville sont consacrées au divertissement, comme l’indiquent le théâtre de verdure et le temple au dieu Pan qui était un salon de musique (Le propriétaire, bon musicien, harpiste de talent qui jouait parfois avec Gluck, a laissé quelques ariettes). Ce pavillon a été la première des fabriques et il faut penser qu’on y célébrait les arts plutôt que des bacchanales pour duchesses et bergères.

Temple au Dieu Pan

Le désert était aussi sûrement une invite à voyager symboliquement à travers les civilisations. L’entrée principale, qui a disparu, était une grotte artificielle, qui représentait la grotte des premiers âges. La franchir et pénétrer dans le domaine, c’était abandonner son vieux moi pour cheminer le long d’un parcours conçu vraisemblablement sur le modèle des chemins de l’initiation (maçonnique ou plus largement spirituelle).

On célébrait les civilisations lointaines. Le pavillon tartare en tôle a été restauré.

Le pavillon tartare

Il est trop tard pour le pavillon chinois si célèbre en son temps qui s’est effondré en 1967 et qui a servi, je crois, de poulailler après avoir été la première demeure de Monville au désert.

Maison chinoise (dessinée par Monville)

Le jardin sacrifie au symbolisme maçonnique avec la colonne détruite qui rappelle tellement la tour de Babel de Breughel l’Ancien. Toute blanche, elle se détache sur le fond des grands arbres avec la netteté d’une image de rêve.

Colonne tronquée

C’est Monville qui avait dessiné dans la muraille ces fausses lézardes, tout à fait fonctionnelles par ailleurs, puisqu’elles éclairaient les pièces de l’étage supérieur.

Il y a une inévitable pyramide, mais est-ce par esprit facétieux que cette forme symbolique sert aussi, bien terrestrement, de garde-manger  et de réserve de glace :

Pyramide-glacière

Je suis émue par cet homme qui voulait planter toute une forêt. En 1777, il commande plusieurs milliers d’essences exotiques aux pépinières royales (même s’il n’obtient qu’une infime partie de ses commandes) et installe des serres chaudes où cultiver des fleurs rares. A la Révolution, Monville a dû céder ses biens pour une bouchée de pain. Le Désert alla à un Anglais,  puis fut saisi. Le mobilier et les essences rares en pots furent dispersés. Emprisonné sous la Terreur pour anglomanie et sybaritisme, M. de Monville échappe à la guillotine par la chute de Robespierre. Il a alors 60 ans. Il mourra en 1797, d’un abcès dentaire. Il n’aura pas vu grandir ses arbres qui font aussi de ce parc un endroit remarquable.

Le parc du Désert de Retz. Cliché Steve Appel

Pendant des décennies Le Désert de Retz reste en l’état. La famille Passy l’acquiert en 1856 et le garde presque un siècle. Un de ses membres replante mélèzes, érables, séquoias. Mais le Désert s’enfonce peu à peu, faute de moyens pour l’entretenir, Le fils de Paul Passy le vend en 1936, après une tentative d’élevage de poules pondeuses pour le rentabiliser.

Cliché Steve Appel
Désert de Retz. Un savonnier

Le domaine est longtemps à l’abandon avec ses fabriques qui se défont lentement. Ceux qui le découvrent se sentent pénétrer par les portes d’ivoire et de corne dans le monde des rêves qu’ils croyaient inaccessible. Prévert y séjourne en tant que cerf-scribe.

Le Désert de Retz. Collage de Jacques Prévert

Les Surréalistes Breton, Aragon, Dali, Arp y organisent un bal masque :

…et la masse sombre des arbres derrière la grande tour tronquée devait ajouter à l’atmosphère de sur-réalité du domaine.

Le Désert de Retz : historique et plans

Cahier des jardins anglo-chinois, contenant les détails du Désert, jardin pittoresque… appartenant à M. de Monville, projetté, dessiné et exécuté… par lui-même… | Gallica

Monville (de) Ariette avec accompagnement de harpe, violon, quinte et basson obligés, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10879441r

2 réflexions sur “Le Désert de Retz

  1. Après les étés solaires de la Corse, voici venu le temps des jardins.

    Je pense en particulier au jardin de Philippe Jaccottet à Grignan, lieu où d’année en année, le poète voit circuler la lumière.

     » Et c’est grâce à ces verdures fragiles, à ces jardins changeants, précaires qu’on la voit »

    Beauregard p. 706 la Pleiade

    Le jardin n’est pas pour lui un lieu de promenade ni même de médiation comme pour les moines japonais, c’est en ce lieu qu’il accueille la présence toujours renouvelée de la lumière.

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    • c’est un peu comme les jardins évoqués par Pascal Quignard dans Les Heures heureuses, non pas la flèche du temps , mais le mouvement circulaire des heures de l’aube au crépuscule et des quatre saisons… mais je dois avouer que nous avons quitté les jardins normands pour 10 jours éblouissants à Palafrugel, sur la Costa Brava.

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