Marcel Proust, un roman parisien

Musée Carnavalet. 23, rue de Sévigné, Paris 3e. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures Jusqu’au 10 avril 2022. www.carnavalet.paris.fr, Commissaire de l’exposition, Anne-Laure Sol.

Le Paris de la Belle Epoque. La comédie sociale

Dans l’exposition Proust du musée Carnavalet, pas de madeleine trempée dans du thé, ni de grive musicienne perchée sur la haute branche d’un bouleau. Pas de ces scènes initiatiques que l’on découvrait à l’adolescence, l’œil médusé : les amours saphiques de Montjouvain ; la rencontre de Jupien et du baron Charlus, comparés le premier à une orchidée offerte, le second à un bourdon ; le bordel tenu par Jupien où le narrateur observe par un œil-de-bœuf le même baron de Charlus en train de se faire fouetter (il n’apparaît à Carnavalet que dans un extrait d’un film contemporain). Il était bien sûr impossible de montrer le bal des têtes où les personnages de la recherche reviennent « déguisés » en vieillards car le temps cruel a transformé les fiers aristocrates du salon Guermantes en loques ridicules.

L’exposition porte essentiellement sur l’autre aspect de la Recherche, la comédie sociale de la Belle Epoque qui rivalise avec la comédie humaine de la Restauration décrite dans les œuvres de Balzac.

Tout commence par l’évocation d’un Paris de 1871, année de naissance de Marcel Proust, avec un petit tableau des Tuileries, qui montre encore les ruines de l’aile du Louvre incendiée pendant la commune.

La première partie de l’exposition rassemble des photos et des portraits de la famille. C’est presque un jeu entre un « Du côté de sa mère », à qui Marcel adolescent ressemble tant, alors qu’il paraît n’avoir pas grand-chose du père et un « Du côté de son père », puisque le frère, Robert, évoque le père : Robert sera médecin comme le père et Marcel préfèrera l’art comme sa mère bien aimée.

M. A. Proust

Les premières salles exposent aussi des objets emblématiques comme le « théâtrophone » avec lequel Marcel Proust écoutait des opéras depuis son appartement, et des représentations emblématiques de Paris, colonne Morris longuement décrite dans le roman, vue de balcon où une élégante prend l’air, calèches et cabs dans de larges avenues, triviales vespasiennes…

Colonne Morris. Béraud (1849-1935)

La chambre de Proust,

Ce qui impressionne les visiteurs, c’est l’austérité de la chambre dans laquelle ce grand bourgeois a passé pourtant le plus clair de son temps à la fin de sa vie, Cette chambre, présentée dans les collections du Musée Carnavalet, a été déplacée dans le cadre de l’exposition. Nous sommes frappés par les dimensions modestes du lit en laiton,  par la laideur de la pelisse au col de fourrure. 

La Pelisse

Les chambres successives qu’a occupées Proust sont pourtant si importantes que leur description ouvre la recherche, notamment la chambre d’hiver, peut-être déjà celle de la rue Hamelin « où quand on est couché, on se blottit la tête dans un nid qu’on se tresse avec les choses les plus disparates : un coin de l’oreiller, le haut des couvertures, un bout de châle, le bord du lit, et un numéro des Débats roses, qu’on finit par cimenter ensemble selon la technique des oiseaux en s’y appuyant indéfiniment : où par un temps glacial le plaisir qu’on goûte est de se sentir séparé du dehors (comme l’hirondelle de mer qui a son nid au fond d’un souterrain dans la chaleur de la terre), et où, le feu étant entretenu toute la nuit dans la cheminée, on dort dans un grand manteau d’air chaud et fumeux, traversé des lueurs des tisons qui se rallument, sorte d’impalpable alcôve, de chaude caverne creusée au sein de la chambre même […] Où est la chambre réelle ? Moins celle que nous avons sous les yeux, que la chaude caverne de papier surgie de l’imagination de Proust.

La présentation d’une robe chasuble de Fortuny est aussi l’occasion de réfléchir à l’écart entre l’évocation littéraire des chefs d’œuvre d’un couturier, symbole de Venise (bien qu’Espagnol), et la terne réalité. C’est peut-être les trois mètres qui nous séparent de la robe exposée qui empêche de bien voir le jeu des couleurs moirées. Dans mon souvenir, le tissu réinventé d’après d’antiques dessins de Carpaccio miroitait davantage avec ses détails délicats comme une aile de papillon et je cherche en vain l’évocation des décors orientaux dans le vêtement obscur que présente le musée.

Les salons

La seconde partie est consacrée aux soirées mondaines de la haute société. Des tableaux évoquent la débauche de lumière des salons (on vivait dans un pays noir que la génération de demain retrouvera peut-être pour des raisons d’économie d’énergie, un Paris souvent brouillardeux puisque la ville se chauffait au charbon et que de nombreuses usines polluaient l’atmosphère). C’est ce contraste que mettent en scène des peintres au nom bien oublié comme Gervex ou Prinet.

Le Balcon. René, Xavier, François Prinet (1861-1946). Musée des Beaux-Arts de Caen
La façade flamboyante du Pré Catelan. Gervex (1852-1929)

La tradition veut que Liane de Pougy, courtisane qui aurait été un des modèles d’Odette figure dans la baie centrale.

Une soirée au Pré Catelan. Détail. Lyane de Pougy (Gervex 1852-1929)

La voix de Céleste Albaret

L’exposition évoque bien sûr les contemporains qui ont inspiré (entre autres) des personnages de la Recherche comme la comtesse Greffulhe, née Élisabeth de Caraman-Chimay (1860-1952) transfigurée en Oriane de Guermantes, qui apparaît dans un beau portrait de Nadar

La Comtesse Greffuhle. Photo de Nadar

J’ai été émue par trois minutes d’interview où l’on entend Céleste Albaret raconter le moment où Proust met le mot « fin » à son manuscrit. Dans les dernières pages du Temps retrouvé, l’écrivain malade, déjà mort pour le monde,  évoquait  l’anxiété « de ne pas savoir si le Maître de ma destinée, moins indulgent que le sultan Sheriar, le matin quand je suspendais mon récit, voudrait bien surseoir à mon arrêt de mort et me permettrait de reprendre la suite le prochain soir »  Céleste est aussi heureuse que son patron, même si elle lui fait remarquer que cette fin ne la concerne pas car il lui restera à transcrire et à interpréter toutes les paperolles collées aux pages du manuscrit. De fait, l’exposition présente quelques pages sur lesquelles Proust corrigeait les épreuves imprimées, avec les ratures, ajouts, corrections qui font de ses manuscrits un objet fascinant.

Le Paris qu’évoquent les images rassemblées à Carnavalet ressemble et ne ressemble pas au Paris rêvé des lecteurs de Proust. Mais au fond, c’est bien une des leçons de la Recherche que la déception obligée qui accompagne la rencontre du réel. La chambre de l’écrivain, la robe de Fortuny, la silhouette de Robert de Montesquieu sont plus vrais, métamorphosés par le style qui les a fixés pour toujours dans nos mémoires, et pourtant cela n’empêche pas de rêver sur leurs modèles

6 réflexions sur “Marcel Proust, un roman parisien

  1. Dans cette exposition, j’ai retenu quelques détails vestimentaires particulièrement évocateurs.
    La paire d’escarpins rouges ayant appartenu à la comtesse Greffulhe, sans doute ceux là mêmes que la duchesse de Guermantes, au moment de partir en voiture doit remonter mettre pour assortir à sa toilette rouge.
    Et aussi, l’ombrelle en faille de soie violet semblable à celle qui abritait Mme Swann  » comme sous le reflet d’un berceau de glycines « 

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    • Oui et ces souliers rouges sont tellement importants dans la Recherche. La duchesse refuse 5 minutes à Swann qui vient de lui annoncer sa mort prochaine parce qu’on l’attend dans une soirée mondaine, let prend tout son temps pour changer de chaussures parce qu’il serait inélégant de porter des souliers noirs avec une robe rouge. Le volume s’interrompt sur cette scène révélatrice de la frivolité égoïste des Guermantes. La coupure produit un effet glaçant, inoubliable.

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  2. Si ma mémoire est bonne, la chambre de Marcel Proust se trouvait dans un immeuble,situé au 98 BD Haussmann, à Paris, actuellement, le siège de l’agence parisienne de la banque Varin Bernier.
    Cet immeuble appartenait à sa tante.
    Je m’y suis rendu à l’occasion d’un festival « Paris l’été » et j’ai pu visiter la chambre, restée en l’état.
    Le spectacle qui était donné ensuite dans l’agence, après la fermeture des bureaux, s’intitulait « contes en banque » et c’était Ben Zimet qui nous a raconté comment l’argent était venu au monde, fabuleux.

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    • Peut-être, peut-être que le 102 bl Haussmann (98 ?) a fourni l’essentiel. La conservatrice explique prudemment qu’elle a recomposé l’atmosphère de cette chambre à partir d’objets et de mobilier empruntés aux trois appartements occupés par Proust après la mort de ses parents. Je me suis, il est vrai, contentée de souvenirs un peu nébuleux de lectures et je confesse n’avoir jamais fait le circuit parisien qu’empruntent les dévots de Proust. Ma seule excuse est que le flou s’étend à la pratique du Musée).

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