Le parc d’eau de Courances

Courances est un château de pure imagination. Il a effectivement été édifié au début du XVIIe siècle, mais de son état primitif, il ne restait pas grand-chose lorsqu’en 1871, le baron Samuel de Haber, un banquier suisse, héritier des banquiers des grands-ducs de Bade, l’a racheté.  En faisant restaurer des bâtiments à demi ruinés, il avait fait ajouter un escalier en fer à cheval, sur le modèle du château de Fontainebleau, et un élégant parement de briques qui n’était pas dans l’original. Ainsi transformé, Courances correspond mieux aux images rêvées que nous nous faisons du style Henri IV et Louis XIII et maintenant qu’un siècle a passé quelle différence entre le « vrai » XVIIe et la belle construction d’aujourd’hui « à moitié fausse »  ?

Courances. Le château
L’escalier à double révolution, imité de Fontainebleau

L’intérieur de la demeure, toujours habitée par des héritiers de Samuel de Haber, ne se visite qu’en partie. Mais nous sommes venus d’abord pour le parc de 76 hectares, un des plus beaux jardins de France, disent les guides. De la Renaissance, le jardin, un temps abandonné, a gardé le goût des jeux d’eau ; de l’âge classique, le tracé géométrique des allées ouvrant sur des perspectives lointaines, mais les propriétaires, aidés par de merveilleux jardiniers, les Duchêne père et fils, ont renoncé au gravier et à la taille géométrique des arbres. Après-guerre, Jean-Louis de Ganay, en charge du domaine, a réaménagé à son tour le parc et les pièces d’eau. Il a planté des peupliers, notamment le long du grand canal. Il a agrandi les pelouses entourant les dix-sept pièces d’eau sans doute parce qu’il était sensible à l’élégance de ces grands tapis d’herbe (en partie aussi dans un souci d’économie : cinq personnes suffisent pour l’entretien du domaine). L’actuelle châtelaine, Valentine de Ganay, développe aujourd’hui avec beaucoup d’énergie une agriculture bio et sans labour sur les 500 hectares qui appartiennent toujours à sa famille.

Ainsi, les bosquets du parc poussent au naturel et les branches basses des vieux platanes ploient jusqu’à l’eau.

Courances. Des platanes

Il y a toujours au fond d’une allée une statue, un bassin qui font voir la profondeur de l’espace.

Les couleurs montent de cette masse de feuillages, les verts de l’été, déjà touchés par le roux et le jaune de l’automne.  Elles viennent colorer l’eau des douves et des bassins.

En suivant une allée plantée de hêtres, j’arrive très vite au jardin anglo-japonais, conçu à la Belle époque par Berthe de Ganay, petite fille du baron. Ravagé par la seconde guerre mondiale, il a retrouvé une nouvelle vie grâce à Philippine de Noailles, épouse du petit fils du baron. Il se regarde comme le tableau d’un coloriste éblouissant (de loin car il est protégé par des barrières). Le rouge intense des érables et les boules des buis contrastent avec la sobriété du reste du parc.

Courances. Fragment du Jardin japonais

Courances doit son nom à quatorze sources cachées dans les bois qui irriguent dix-sept pièces d’eau. La source du rond de Moigny, filtrée par le sable, est si transparente qu’elle transfigure le moindre caillou en joyau. Il paraît que ces eaux courantes aidées par les carpes qui broutent les herbes aquatiques suffisent pour entretenir les bassins.

En se penchant bien, selon qu’on tourne la tête vers la lumière ou vers l’ombre, on passe d’un monde roux qui semble naître de l’eau à un monde bleu traversé de petites irisations.

Le temps pluvieux a vidé le parc et permet d’échapper aux foules bruyantes qui envahissent les lieux célèbres. Je marche sur des tapis d’herbe autour des principales pièces d’eau de la propriété : Grand  canal, Nappes (qui sont des bassins en escalier), Miroir d’eau à l’arrière du château. Sur mon passage, je fais lever des bouffées de parfum d’herbe mouillée dont l’odeur se respire jusqu’au vertige. On a du mal à la raconter. Pourtant, elle réveille des souvenirs entêtants, de jeux dans des prairies, de courses, de luttes, de roulades, avant de se coucher sur le dos pour regarder les nuages. Dans ce temps-là, je fredonnais une chanson dont j’aimais la douceur  un peu molle : «  Je me suis couché dans l’herbe pour écouter le vent, écouter chanter l’herbe des champs ». Aujourd’hui, les jeux de l’enfance sont perdus et je ne sais plus ce que cette chanson pouvait bien me dire, mais le parfum de l’herbe en ravive le souvenir, comme la présence fantôme de la joie d’exister.

La vie de château

Un guide nous fait visiter quelques pièces du château ouvertes au public. C’est très étonnant. Le baron mégalomane a multiplié les signes de royauté, ajoutant des lys au décor des poutres, installant une cheminée avec un bas-relief de Louis 14… Vanité (assez touchante) des actuels propriétaires qui ont disposé près de l’entrée, sur un piano, des dizaines de photographies de leurs invités prestigieux, de façon à montrer aux visiteurs que les grands de ce monde séjournent chez eux. (Le statut princier du prince Charles en première ligne semble leur importer davantage que le statut historique de de Gaulle à moins que ce soit son goût pour l’écologie qu’il partage avec Valentine de Ganay, une des propriétaires actuelles). Sur un canapé, trois petits coussins à litifs régressifs de nounours montrent que la vie continue et que le goût des habitants évolue. Pourtant, il y a un charme dans ce salon étroit où les fenêtres ouvrent sur les deux façades du château et sur les belles verdures du parc comme si nous étions dans une halte entre deux promenades.

Le salon suivant est assez vilain. Il est tout encombré de meubles, notamment une table de billard, abandonnée par  le maréchal Montgomery, adjoint au commandement des troupes de l’OTAN, basé à Fontainebleau.

Un autre comporte une peinture curieuse des cinq frères de Ganay, par un des membres de la famille, Sébastien de Ganay. L’oeuvre couvre tout un mur : sur un fond de rayures jaunes et vertes, les 5 frères posent en pied. L’aîné à califourchon sur une chaise nous regarde dans les yeux. Il ont le sourire et la belle allure de cow boys (ou de banquiers) américains.

La salle à manger est moins déprimante avec quatre tables rondes de faux marbre,  des boiseries, une frise d’assiettes accrochées près du plafond…mais manger là doit donner l’impression de descendre dans un hôtel. Il ne reste qu’à espérer que les propriétaires qui ont divisé l’espace restant en 4 appartements de 300 m2 chacun se sont inventés des appartements plus personnels.

Nous sortons un instant sur la terrasse qui permet de voir l’arrière du château et sa broderie de buis. La brume se lève. Le ciel blanc s’obscurcit peu à peu.

Broderie de buis depuis la terrasse du château

Au rez-de-chaussée, de l’aile ancienne, un autre salon dans une pièce envahie de trophées de chasse. Plus loin, une longue galerie et trois tapisseries flamandes, des scènes de singeries du 17e siècle. Les personnages sont uniquement des singes dont les vête­ments réduits à quelques accessoires, chapeaux, écharpes, turbans… servent seulement à indiquer leur sexe ou leur rôle. Les scènes sont assez plaisantes, jeux variés, tournoi, jeu de mail,  paume, jeu de dés, danses, musique. Souvent critiques : le clergé joue aux jeux d’argent…Fin de visite dans une chapelle consacrée dont on admire les boiseries.

Courances doit être magnifique par tous les temps, mais nous avons aimé cette visite d’automne, le roux des feuilles mortes, le vert des pelouses, au-dessus de nos têtes le blanc laiteux du ciel et ce fond brumeux qu’on regarde comme si un cavalier solitaire allait en surgir.

Cliquer pour accéder à Valentine-de-Ganay.pdf

sur les Singeries, voir l’article de Nicole de Reynies « La tenture  de Sully au château de Courance. Pour une histoire des singeries »  Revue de l’art, années 1987, https://www.persee.fr/doc/rvart_0035-1326_1987_num_77_1_347656

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